Kamerhiphop : Douala, kel image ?
On nous a dit que le rappeur est une conscience singulière. Que sa démarche artistique charrie le mode de vie de sa communauté d’appartenance. Que son verbe, rageur sans jamais être destructeur, flambe et crame le confort de nos certitudes éhontées. Ces vérités maintes fois ressassées sont de moins en moins vérifiables à Douala. La faute à la «modernité», sans doute. Car, oui, le temps passe. Le monde évolue. Et le rappeur de la cote, chaque jour, se…prostitue. Dans sa démarche artistique. Dans son habillement. Dans son vécu, tout simplement.
En effet, quand il ne greffe pas sa voix au tintamarre de quelque icône locale (genre Sergio Polo ou Njohreur), le rappeur du Littoral fonde carrément son œuvre sur un « ancien succès » Makossa. Hier Balafon Kunta, aujourd’hui Bantou Po-Si, demain Lady B. ? Pas le temps d’innover, de partir d’une partition blanche qu’on s’efforce de noircir soi-même. Les voies du succès facile paraissent, de loin, préférables aux sentiers tortueux et escarpés de la créativité. Et d’ailleurs, pourquoi se donner tant de peine ? A voir son public extatique à chaque reprise d’Eboa Lottin par X Maleya et paradoxalement impassible aux productions pourtant originales du Collectif Sahel Hip Hop, on se laisse facilement aller à la conviction qu’il ne mérite pas mieux. Qu’il n’est rien d’autre qu’un enfant gâté, à gaver d’urgence et jusqu’à l’ivresse des toutes les mirages de MTV et Trace TV. Rien de surprenant alors que le rappeur de la cote s’américanise à l’excès. Il a les pieds dans la mélasse de Mboppi, se nourrit de beignets-haricots d’«Asso» mais espère la corpulence des mangeurs de hamburgers et la vie dans les buildings de New York. Jeans, baskets, chaines, crucifix, perruques Afro, tous les artifices sont nécessaires pour entretenir l’illusion. Artifices, illusions ! C’est bien de cela qu’il s’agit. Le rappeur de Douala met plus de temps à développer des muscles à la 50Cent, à parcourir des magasins de fringues et à rechercher des filles sexy pour son vidéogramme qu’à affiner ses rimes. Du coup, sur la forme, ses textes sont souvent brouillons, désarticulés, sans âme. Ceux qui se souviennent que Douala est, historiquement, un des bastions camerounais de la révolte vont aussi être déçus. Très peu de titres contemporains venant du Littoral ont un versant dénonciateur ou contestateur. La tendance est plutôt à la danse et à l’animation (« Ce soir, on va danser… », « Ambiancez moi ça la », « Bantou Po-Si toi aussi » !). A Douala, on fait désormais tourner les popotins quand ailleurs on fait tourner les méninges. Il suffit, pour s’en convaincre, de souligner que les leaders de la «contestation rappologique», de Sultan Oshimihn à Valséro en passant par Jah Missa, vivent tous loin de la capitale économique du Cameroun. Le plus grave est qu’infrastructures médiatiques, producteurs, distributeurs et même publics se rendent complices du cataclysme qui se produit sous nos yeux. Ils acclament et encouragent tous ces rappeurs de la cote, novices ou expérimentés, anonymes ou connus, qui se vautrent dans la superficialité et la platitude. Il nous faut pourtant revisiter l’histoire et mettre en perspective notre démarche. Et se demander : Comment nomme t-on le fait que des individus se détournent de leur mission première ? Quel vocable utilise t-on pour représenter le fait qu’une collectivité se gausse délibérément de son itinéraire originel ? En fouillant les meilleurs dictionnaires, on s’apercevra que ce phénomène a un très beau nom : la dérive.