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dimanche, décembre 8, 2024
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Sultan Oshimihn : Le rap guérilla du Sultan Oshimihn…

Dans un pays où le pouvoir finance l’opposition, où les contestataires ont eux-mêmes peur de la contestation et où les journalistes sont presque les seuls à lire leurs propres publications, il faudra bien qu’on trouve, quelque part, des gens capables de jouer les trublions. C’est cette riche pensée qui nous accompagne dans les rues de Yaoundé alors qu’on débarque chez Sultan Oshimihn.


À 29 ans, ce reggaeman-rappeur et protestataire prometteur fait partie de cette génération d’artistes camerounais qui n’en peut plus des chanteurs à gage qui inondent les radios d’hymnes pro-RDPC, du bikutsi mécanique qui plombe les ondes à longueur de journée et du makossa industriel qui vous poursuit jusqu’au fond des sous-quartiers. Marre, aussi, des rappeurs qui font chauffer les berlines surgonflées et les bimbo de location… Avec d’autres – Krotal (On passe à l’acte), Ak Sang Grave (Le Camerounais) ou, plus encore, son pote Valsero (Ne me parlez plus du Cameroun) – Sultan Oshimihn (Quelle école) appartient à cette génération engagée qui veut s’adresser aux petites gens et parler crûment de certaines réalités : les salaires coupés, les entreprises privatisées, le « cacao pénalisé d’office », les « gangsters en costards », les « lois amputées sous le regard complice des députés », les « élèves entassés comme du bétail » sur les bancs de la fac ou même – suprême sacrilège ! – les « synergies de merde » de Chantal Biya [1]… « Les jeunes artistes de la mouvance hip hop sont passés de l’ambiance festive à un discours révolutionnaire », constatent les observateurs mi-fascinés mi-horrifiés par tant d’audace [2]. Révolutionnaire ? Un mot qui ne déplaît pas, on l’imagine, à celui qui tient Dien Bien Phu pour la référence absolue.


Sauf que, les choses n’étant jamais simples au Cameroun, c’est une surprise qui nous attend dans le grand appartement familial de Sultan Oshimihn. Sur le mur, un portrait encadré de… Paul Biya ! Aaaah ! « Ma vieille est présidente de sous-section RDPC et mon vieux a été élu maire d’une petite ville, se défend le rappeur, vaguement gêné. Mes parents ont leurs convictions… et moi j’ai les miennes ! » Une situation familiale un peu tendue, reconnaît le jeune homme dans un sourire, mais qui crédibilise d’une certaine façon son engagement artistico-politique. Lui qui aurait sans doute pu devenir un brave fonctionnaire, et bénéficier des avantages qui vont avec, se débat aujourd’hui pour « conscientiser la jeunesse ». « Aujourd’hui, c’est moins le système politique qu’il faut changer que les mentalités, poursuit le jeune homme. Quand tu lis, par exemple, Pour le libéralisme communautaire de Paul Biya, tu constates que c’est un très beau livre. Mais pourquoi rien n’a été appliqué ? C’est un problème de mentalités ! ». Un problème de mentalité certes, mais aussi un problème de pauvreté qu’Oshiminhn lui-même expérimente au quotidien. Comment vivre de sa musique, et surtout « rester pur », quand les fans sont financièrement incapables de soutenir leurs vedettes et que les seuls qui peuvent le faire ont intérêt à les faire taire ? « Si tu vas chanter tous les 6 novembre [3] dans les villages des ministres et faire des grosses courbettes en échange d’une enveloppe de 100.000 F, tu vivras confortablement, explique le chanteur. Mais si tu restes sur tes positions, tu seras obligé de faire des petits boulots ».


Des petits boulots mais aussi, malheureusement, des « petits compromis » qu’il faut savoir doser pour ne pas s’aliéner un public aussi exigeant que dépourvu. Exemples : chanter sa haine du néocolonialisme… au Centre Culturel Français, appeler les jeunes aux urnes… pour le compte des institutions bidons qui « gèrent » les élections ou, encore, pousser la chansonnette contre le Sida… « avec le concours de Madame Chantal Biya » [4]. Hasta la victoria siempre, mais à petits pas.


[1] Allusion, signée Valsero, à Synergies africaines, association « non gouvernementale » de lutte « contre le Sida et les souffrances » regroupant les Premières Dames africaines autour de sa présidente Chantal Biya (www.synergiesafricaines.org)


[2] « Le Hip-Hop K-mer, si amer », Mutations, 15 mars 2007


[3] anniversaire de l’accession de Paul Biya au pouvoir en 1982


[4] voir, par exemple, ceci : http://www.youtube.com/watch?v=odAisB9b4jE et ceci : http://www.kamerhiphop.com/index.php?link=actu_r&id=96.






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