Gabao festival : Pourquoi je n’aime pas le Gabao
Je n’aime pas le Gabao. Vous pouvez avoir une position différente. Cela n’infléchira pas la mienne : je n’aime pas le Gabao. J’en ai marre de cette plate forme culturelle tenue ailleurs qui, au fil des années et des réussites, s’impose comme incontournable dans la sous-région. Je suis camerounais. Et j’aurais souhaité que mon pays soit l’épicentre de la créativité rappologique en Afrique Centrale. Ras ! Chaque année, mon égo vert vire au rouge et j’en suis réduit à rire jaune face aux étoiles gabonaises du Gabao. Huit ans que ça dure. Huit ans de contemplation douloureuse. Huit ans que Libreville est la capitale bantoue du hip-hop. Libreville, pas Yaoundé ou Douala. Il y a quelques semaines encore, Tiken Jah Fakoly, Zaho, DBS sont allés communier à Libreville. A Libreville, pas à Yaoundé ou à Douala. Dans ces conditions, difficile de soutenir ma fierté camerounaise……
Je n’aime pas le Gabao. Je le vis à la fois comme une gifle, une injure ou un complot. Remarquez : le Gabao aurait pu se tenir au Cameroun. Ses racines plongent dans l’humus vivifiant du dynamisme de la jeunesse de ses promoteurs. Quelques uns de ses relais médiatiques sont implantés au pied du Char des Dieux. Nombre d’artistes qui embrasent sa scène viennent d’ici. Le profil de ses annonceurs et partenaires existe au Cameroun (opérateurs de téléphonie mobile, industries brassicoles, institutionnels, etc). Alors, pourquoi ? Pourquoi ce qui est évident là-bas devient-il mystique et ésotérique sous nos cieux ? N’y a-t-il pas lieu de craindre que la danse victorieuse du Gabao s’opère sur la scène honteuse de notre attentisme, de nos égoïsmes et de notre amateurisme ? Cette idée-là, rien que cette idée, m’est insupportable. Et suffit à renforcer ma haine du Gabao……
Je n’aime pas le Gabao. Parce qu’il est la preuve qu’on m’a menti. Parce qu’il est l’illustration vivante que s’appeler Djibathe, Idrissou, Essomba, Endeley ou Njoya n’est pas synonyme de malédiction éternelle. «Les camerounais sont condamnés à être d’honnêtes escrocs». Je me plaisais bien dans cette illusion qui justifie nos découragements et conforte notre paresse intellectuelle. Et voici que le Gabao est venu tout gâter ! Voici que ce foutu festival démontre, au fil des éditions, qu’un Talla peut faire autre chose que nuire à son frère. Et qu’un Kamdem peut fédérer des énergies, mobiliser des financements, régler ses factures, en somme soutenir une logique culturelle crédible sur la durée. Cette heureuse initiative s’est malheureusement exportée. Oliver Ngoma a acheté le téléviseur que Petit Pays a méprisé. Et aujourd’hui, les enfants de Petit Pays regardent (avec joie !) la télé chez Oliver Ngoma. Gabao, je te hais !
J’entends d’ici quelques personnes me reprocher d’avoir écrit cette chronique avec le cœur. Que mon texte pue le chauvinisme à des kilomètres. Je plaide coupable. Ce texte n’est-il pas publié sur www.kamerhiphop.com ? Qu’y a-t-il donc d’aberrant à ce que le Cameroun, « chère patrie / terre chérie », soit au premier plan des problématiques soulevées. Aussi, rien, ni personne n’a jamais interdit d’écrire avec le cœur. Très souvent, quand la raison démissionne, c’est le cœur qui guide l’action. A travers ma « haine » du Gabao, se dessine en vérité l’espoir de voir les initiatives locales se développer et se densifier. Pour un hip hop K-mer plus fort. Pour que nous cessions d’être ceux qui reçoivent toujours sans jamais offrir en retour.