Dans le milieu du rap au Cameroun, j’étais depuis lors en train de cheminer sur une crête. Mon équilibre était instable, et je ne cessais de vaciller entre l’optimisme et le pessimisme. J’étais même allé jusqu’à lancer un appel aux rappeurs d’arrêter d’écrire les textes et de sortir les disques, afin que le soleil brille enfin à l’ombre du show business. Ce que je voyais et entendais était très loin de l’excellence et très proche de la médiocrité. Mais il y’a quelques jours de ça seulement j’ai eu l’honneur de participer à ma première conférence de presse pour la présentation d’un album hip hop au Cameroun. C’était au Centre culturel Savanah, le samedi 03 mars. L’album de l’artiste Ivee intitulé « l’inévitable », voyait ainsi le jour. Et mon espoir pour un avenir meilleur pour le rap au Cameroun renaissait en même temps. Cette conférence a connu la présence des journalistes, des directeurs de publication, des promoteurs culturels, des rappeurs et des amateurs du hip hop venus des quatre coins du triangle national. Avec un panel riche autour d’Ivee, composé de son manager Maxi Zoguy, de son attaché de presse Taphis, du représentant du label Ghost Entertainment Dark One, ainsi que Herman le gérant de son site internet et du manager de kamerhiphop.com et culturebene.com à la personne de Idrissou Arabo. C’était une grande rencontre riche en partage et en contacts, qui s’est terminé avec des séances de dédicaces de causeries autour d’un verre.
Quand je suis entré en possession de cet album, j’ai été frappé par le graphisme et toute l’énergie et le génie esthético-artistique mis à la réalisation de cette pochette. L’artiste les mains croisées, entouré d’une boule de feu, comme observant sereinement le massacre que produit la bombe qu’il vient de lancer.
Si on s’arrête d’abord un instant sur ce qui se présente à nos yeux, nous dirons que l’artiste a mis les petits plats dans les grands pour que cet album puisse avoir de l’effet. Dans le choix des armes, il a opté pour la plus redoutable (la bombe), dans le choix des astres, il a choisi la plus grande (le météore), dans le choix des beats makers et des artistes en collabo il s’est rapproché des plus talentueux, dans le choix de son infographe il s’est allié avec le maitre dans l’art. Aux grands maux il a utilisé les grands remèdes.
En ce qui concerne l’album en tant que tel, qui comporte 18 titres avec une dizaine de collaboration, nous dirons que Ivee, sorti de la dictature ou de l’enclos de l’égotripe, par la maturité acquise explique t’il, a su aborder des thèmes aussi variés, comme l’amour, le social, la politique, l’économie, la jeunesse, la persévérance, le culte de l’effort, le rapport artiste-musique et société…et les thèmes semblables. Ceci se prouve dans le titre inaugural de son album.
Par cette bombe, l’artiste vient donc exploser ces maux qui minent l’Afrique, les péchés minions qui tiraillent la jeunesse, elle vient détruire la médiocrité et l’empressement pour laisser la place à l’excellence et à la patience. Elle vient bombarder la haine pour laisser place à l’amour. A la discute intransigeante et sans issue, les concessions et le dialogue. Elle vient détruire l’orgueil démesuré des uns et des autres pour laisser place à l’humilité et au respect des ainés et des parents. Elle vient détruire l’ivraie, ces rappeurs qui pratiquent le rap sans conviction aucune, pour laisser pousser la bonne herbe, ces artistes véridiques qui savent ce que c’est que d’écrire un texte et de sortir un disque. Cette bombe veut détruire les préjugés et les différentes étiquettes que la société colle sur le dos des rappeurs. Ivee nous renseigne là que bien qu’il soit un gars ou un homme comme les autres, il n’est pas de ce fait un rappeur comme les autres. Avec lui et sa musique ils ne font qu’un inséparable de l’autre comme le jour de la nuit. Une relation désintéressée et engagée qu’il veut entretenir avec la musique. Avec elle il veut construire et non consommer. Ivee fait donc du rap qui parle aux frères, un rap qui apporte et non celui qui rapporte. Du vrai hip hop comme on aime.
Il a voulu faire ce rap qui apporte, et il l’a réussi, il nous renseigne que parce que nous sommes jeunes et que le monde part en couilles, on doit faire ce que nous avons à faire : l’audace et le travail. C’est vrai que le talent ne ment pas, mais seul il ne suffit pas, en plus de ça il nous demande d’avoir la foi et la détermination, afin de réussir sa vie et réaliser ses rêves, ne plus rester dans l’attente, passant toute sa vie devant les buts à attendre la passe décisive, mais retrousser ses manches et entrer dans le champ de lutte. On peut le faire parce qu’on doit le faire. Et Ivee nous le dit, il l’a fait.
Au sortir de la dégustation de ces 18 titres, l’auditeur curieux, et amoureux du vrai hip hop, repart grandi, ayant acquis un plus intellectuel et moral. Et les armes adéquates, inévitables pour mener une vie belle et agréable. Il y ajoute aussi de la technique, de la gymnastique intellectuelle, de la démonstration énergétique, de l’art martial. Il est même souvent incompris, sous ses figures de styles énigmatiques et métaphoriques, ses images, ses paraboles… Un vrai rap poétique et philosophique.
C’est dire que par ce travail réalisé, Ivee, se place parmi les valeurs sûres de la culture hip hop au Cameroun. Sa technique, sa faculté intellectuelle, son ouverture d’esprit, qui lui donne une particularité dans la manière d’aborder certains thèmes le hisse au niveau astral et galactique qu’il a voulu viser par cet album. Même si c’est juste pour un temps, Ivee se place en un repère. De telle sorte que, ceux qui sont venus avant lui vont chercher à refaire leurs produits, et ceux qui viendront après lui vont chercher par la même énergie à faire œuvre pareille à celle-ci, pour ne pas apparaitre aux yeux du public comme des imposteurs et des incapables.
Comme Ivee le dit, il est désormais le roi non pas seulement parce qu’il a kidnappé la princesse, mais parce qu’elle est enceinte de lui. Il doit dès aujourd’hui apprendre à jouer au baby sitter parce qu’elle va enfanter les triplés : la gloire et le succès et son « bébé », et comme il le sait ce sont des gosses très difficiles à bercer.
Mais comme la plupart de nos talents, asphyxié par le succès et enfouis dans le clair obscur de l’abime de l’improductivité, Ivee ne doit ‘il pas être victime de ce même piège mortifère ?
Il nous dit vouloir rester fidèle à ce rap qui n’a ni thunes ni récompenses, mais comme il le dit en même temps, il est dans l’attente. Et si ces thunes là tardent à venir, ne doit’ il pas oublier son casque et son baladeur, s’offrir à toutes sortes d’infidélités et de faussetés, aller même jusqu’à faire de la variété style « rap ben-skin » ou hip quelque chose… pour provoquer l’avènement de la thune ? Ne doit ‘il pas retourner sa veste dans l’avenir et trahir son premier amour ? devenir par le fait même le pote des politiques qui vont le solliciter et le récupérer ?
Ces questions sont nécessaires. Parce que le dictionnaire Larousse nous donne pour définition de la météorite, comme du météore : « personne ou chose qui brille d’un éclat vif mais passager ». (Sens figuré) Ivee la météorite pourra t’il éviter ce destin propre a ces corps lumineux ? Pour s’interroger comme Nick B, le second essai sera-t-il le bon ? Y’en aura-t-il un second ? La météorite, oui, mais pour combien de temps ?
Ivee par cet album a mis la barre très haute si bien que seul un vaisseau spatial peut la décrocher, or comme le dit Joseph Ngoué dans la croix du sud : « plus haut grimpe le chimpanzé et plus grand retenti sa chute ». C’est dire que comme le souligne le Rat Luciano « l’important n’est pas d’être vrai il faut le rester », l’important n’est pas de se hisser au sommet, et d’y sommeiller, mais de considérer chaque succès comme un appel à aller plus loin. L’avenir seul, destin inévitable nous le dira, si oui ou non Ivee va faillir à sa tâche. Et s’il a été vraiment conçu comme il le dit pour durer.
Mais dans cette attente, je terminerais mon propos en ces termes, c’est que sur la planète rap, nous assistons à une nouvelle ère. Il y’a une bombe qui vient d’être lancée par une météorite, et la pire des nouvelles c’est que : on ne peut pas l’éviter. La bonne nouvelle c’est que cette bombe n’est pas une auto destruction, elle ne vient pas tout consumer, elle ne vient pas tout détruire, si oui tout ce qu’il y’a de mauvais. Elle vient construire, et produire, et déposer les fondations du socle sur le quel doit se bâtir le nouvel avenir du rap au Cameroun.
« Tu veux les étoiles, vise la lune » Médine