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samedi, octobre 5, 2024

STYCK, l’homme qui valait 3 milliards (de vues)

Vous ne le connaissez peut-être pas, en revanche difficile de passer à côté de ses œuvres, qui sont diffusées en boucle sur les chaines télévisions musicales ou sur internet. Styck, de son vrai nom Lucas Maggiori est un réalisateur français de 32ans, ses vidéos cumulent près de 3 milliards de vues en ligne. Homme de l’ombre, il est aujourd’hui l’un des réalisateurs les plus cotés auprès des artistes urbains français et africains. Retour sur le parcours d’un autodidacte…

Styck commence la vidéo en 2007, après un parcours scolaire assez chaotique et de brèves études d’art il quitte l’école, et fait la connaissance de Richard Bismuth dit Screetch, qui deviendra son ami et surtout son binôme dans la réalisation de clips vidéos. Les deux amis originaire du quartier Pigalle à Paris (18ème), commence alors à filmer et immortaliser les « freestyles » des rappeurs de leur quartier, parmi eux un groupe qui deviendra bientôt incontournable en France, la Sexion d’assaut.

« On savait déjà tous que Gims était hors du commun. C’est pour faire éclore ce genre de talents, de chez nous, qu’on à monter Daymolition au départ » se souvient Styck. De ce constat naitra donc Daymolition, un site internet (puis une chaine youtube) proposant des vidéos de rap, des « street-clips » (petits clips conçus avec peu de moyens, souvent dans la rue). Styck en réalise des centaines de 2008 à 2013, avec sa petite caméra, accompagné de son compère Screetch, ils arpentent tous les quartiers populaires de Paris et sa banlieue à la recherche de nouveaux rappeurs à filmer.

De retour chez lui, il enchaine les nuits blanches pour effectuer les montages vidéos lui-même, peaufiner le site, créer des visuels promotionnels, ou publier les vidéos en ligne. « La meilleur formation, j’ai joué à tous les postes dans ce métier. Ça aide beaucoup » confie-il. La renommée grandissante de leur travail l’amène à collaborer avec les plus grands artistes du Rap français, pour lesquels ils réalisent des street-clips, des interviews, des captations live ou des making of, qu’il diffuse ensuite sur Daymolition. Le site devient rapidement un vivier de talents et verra germer plusieurs artistes aujourd’hui reconnus comme Sexion d’assaut bien sur, mais aussi Fababy, Vald, S.Pri Noir, Siboy, ou Ninho. Styck, habitué à faire des allez retours aux Etats-unis pour des tournages, et grand amateur de rap new yorkais, décide aussi d’ouvrir la plateforme Daymolition, aux artistes américains et réalise un bon nombre d’interviews de rappeurs américains comme 50 Cent, P.Diddy, Rick Ross ou Kendrick Lamar. « C’était très impressionnant de voir en vrai des gens que tu as l’impression d’avoir écouté toute ta vie, qui sont des stars mondiales… 50 cent ça m’a fait un choc… J’aurais jamais cru que ce genre de superstar puisse un jour être sur Daymolition quand on a créé le projet dans mon apart’ de 10m2 à Paris nord » Aujourd’hui devenu un passage quasi-obligatoire pour tous les jeunes rappeurs français qui voudrait atteindre la célébrité, Daymolition permet aussi de voir éclore de nouveaux réalisateurs, comme Bastos (réalisateur de clips pour Niska ou Black M). La chaine youtube de Daymolition, compte à l’heure actuelle près de 1,7 millions d’abonnés et plus de 5000 vidéos originales, réalisé par les équipes de réalisateurs et monteurs que Styck et Screetch ont recrutés au fil du temps et des rencontres. « Daymolition c’est Clairefontaine (centre de formation de l’équipe de France), pour les rappeurs comme pour les réalisateurs » déclare t il, avec un sourire.

En 2011, Styck décide de se consacrer à la réalisation de clips plus élaborés. « On avait beaucoup de demandes, et puis il fallait passer un cap dans ce qu’on pouvait proposer visuellement, j’avais pas envie de filmer que des jeunes mecs chanter devant leur bâtiment ou faire des levés de roue en scooter, jusqu’à mes 50ans… » Il fonde alors, avec son acolyte de toujours Screetch, une boite de productions baptisée Daylight Productions. Après une vingtaine de clips pour plusieurs rappeurs français, comme Seth Gueko, Styck se voit confier la réalisation de tous les clips du premier album de Gims, baptisé Subliminal qui sort en 2012, sur le label Wati B. « Gims c’est un mec qui a une bonne mémoire, il oublie pas ses proches, c’est un vrai frère. C’est rare dans ce milieu, dès qu’un nouveau réalisateur arrive, tous les artistes se ruent pour tourner avec, ou il y avait déjà d’autres réalisateurs plus confirmés… Gims, il a choisit de nous faire confiance à nous, ses amis d’enfance, et grâce à, ça on a construit un univers visuel, à son image, qui lui ressemble, parce qu’on le connait très bien » déclare t-il.

De cette collaboration naitront des clips comme Bella (+ 420 Millions de vues, premier clip français à passer la barre de 200 millions sur YouTube), J’me Tire (+ 230 Millions de vues) et Styck se verra remettre un double disque de platine (pour + de 200.000 albums vendus en France) pour sa participation au succès de l’album Subliminal.

Fin 2013, après un concert à Libreville au Gabon, où il accompagne ses amis de la Sexion d’assaut. Styck décide de s’installer dans la capitale gabonaise. Il s’y familiarise avec les musiques africaines, comme l’afro-beat, le coupé décalé, ou la rumba congolaise. Il commence à rencontrer des artistes africains pour lesquels il réalise des clips comme Kôba Building (rappeur gabonais) ou le chanteur congolais Ferré Gola.

A son retour en France fin 2014, Gims qui vient d’ouvrir son label Monstre Marin Corporation (Universal Music France), le nomme Directeur artistique. Il y rencontre alors DJ Arafat, nouvelle signature du label, pour lesquels il signera par la suite des clips comme Enfant Béni, Faut Chercher pour toi, Dangereux ou encore Dosabado. « Avec DJ Arafat on est devenu potes dès qu’on c’est croiser dans l’ascenseur à Universal, ça a pris 1minute. On est devenu des frères quand on c’est revu par hasard parce que je venais à Abidjan tourner un clip. C’est grâce à lui que j’ai appris à me repérer dans la ville, que j’ai connu la plupart des gens que je connais en Cote d’ivoire et que j’comprends le nouchi. C’est pour ça qu’a Abidjan, les gens ont commencé à m’appeler Le Blanc de la Yorogang…»

A cette période il enchaine les clips pour Black M, Alonzo, Mac Tyer, Lartiste, et bien sur pour Gims qui viens de sortir son nouvel album Mon Coeur Avait Raison, pour lequel Styck réalise pas moins de sept clips, dont Laissez Passer qui atteint aujourd’hui les 165 Millions de vues,  Brisé totalisant 148 millions de vues et surtout le « blockbuster » Tout Donner, où il mettra en scène la femme de Gims, la plantureuse Demdem, et qui cumule 115 millions de vues. C’est avec ce dernier clip, Tout Donner, que Styck prouve une nouvelle fois, qu’il est à l’aise sur tous les terrains, aussi bien dans une superproduction qui assume un style hollywoodien comme Tout Donner, dont le budget avoisine les 100.000€, que dans des oeuvres plus sombres comme le clip de Gims intitulé Marabout où il reprend l’esthétique des codes de pratiques mystiques, ou dans des clips typiques du rap français tourné dans le quartier de l’artiste en plan séquence comme Je suis une légende de Mac Tyer. Il n’est pas un réalisateur qui impose son style aux chansons sur lesquelles il travaille, il est celui qui les met en valeur, avec une imagerie qui leur correspond. Pour parfaire la diversité de propositions artistiques, dès 2016 il s’attache à réaliser de plus en plus de clips pour des artistes africains, en Afrique comme en France, parfois en choisissant soit d’adopter un style et un cadre classique et typique des clips de musiques africaines, soit en y appliquant les codes d’une imagerie plus occidentale. « Ça ne m’est pas venu naturellement, c’est de l’expérience. J’avais fait un clip pour un artiste à Bamako, et comme c’était en Afrique, j’avais choisis de jouer sur des couleurs chaudes, un visuel coloré et de montrer des scènes de vie tournée dans la ville. J’ai compris que c’était mon regard d’occidental sur l’Afrique, qui faisait que j’aimais ce clip, mais qu’il ne serait pas innovant ou dépaysant pour le public d’un artiste malien. Ça a tout changé pour moi, dans ma façon d’abordé les visuels pour les artistes africains» déclare Styck.

Son travail avec le chanteur Fally ipupa est certainement un des meilleurs exemples de cette diversité de styles visuels avec lesquels le réalisateur français alterne. Styck signe en 2017, la réalisation de son clip Bad Boy en featuring avec la chanteuse Aya Nakamura (qui dépasse aujourd’hui les 60 Millions de vues) auxquels il applique un visuel très urbain, américanisant, aussi bien dans le stylisme que la décoration. Alors que plus récemment en 2019, il s’amuse, toujours aux cotés de Fally Ipupa, à reprendre une image rétro rappelant le style d’anciens clips de rumba congolaise, dans le clip du morceau Humanisme extrait de l’album Control. « Faire toujours la même chose, je ne trouve pas ça enrichissant artistiquement. Je me lasse vite. Dès que j’ai réussi à obtenir un rendu qui moi me satisfait, correspond à l’idée que j’avais, je passe à autre chose. Après on ne fait pas toujours ce qu’on veut, on est au service de la musique et de l’artiste… »

Depuis quelques années Styck multiplie les collaborations avec des artistes français comme Alonzo, Dadju, Keblack, Naza, ou encore le rappeur Sofiane. Il n’est pas en reste en Afrique, ou il signe beaucoup de clips pour les artistes du continent, comme Fally Ipupa, Sidiki Diabaté, Toofan, Shan’L, Locko ou encore Fanicko pour ne citer qu’eux. Il remportera un Bilily Awards (cérémonie congolaise pour les vidéos) en République Démocratique du Congo, en 2017 dans la catégorie « Meilleur Réalisateur Etranger » notamment pour ces collaborations avec Fally ipupa. Il continue également à travailler régulièrement avec Gims pour lequel il a notamment clipper les titres Caméléon (+ 125 Millions vues), Corazon (+ 87 Millions de vues) en featuring avec Lil wayne et French Montana superstars du rap américain qu’il porte à l’écran dans un clip tourné entre Miami et Los Angeles, et également la vidéo Le Pire (+ 40 Millions de vues) qu’il co-signe avec Gims et qui met en scène l’artiste sur un fond blanc sur lesquels sont projetés des images de désastres naturels et de ravages causés par l’homme, pour sublimer le message écologique et engagé du morceau.

L’ensemble de ce travail sera récompensé d’un disque de diamant (pour + de 500.000 albums vendus en France) que Styck se verra remettre pour sa collaboration aux scores de l’album Ceinture Noire. Depuis 2018, Styck a choisi de venir s’installer à Abidjan, où il avait l’habitude de se rendre pour des tournages. Il s’y consacre actuellement à la création d’un nouveau projet, une plateforme de vidéos pour les artistes africains, reprenant ainsi la recette de Daymolition en l’adaptant aux réalités et aux besoins d’un marché musical africain en plein essor. On ne peut que lui souhaiter la même réussite…

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